PAUL GAUGUIN (16)
Les Guêpes, n° 15, 12 avril 1900.
TERRE DÉLICIEUSE
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Délice relevé de je ne sais quelle horreur sacrée que je devine vers l'immémorial Autrefois, odeur de joie que je respire dans le présent ; et cette joie et cette horreur condensées dans les ténèbres parfumées et profondes de la forêt où les sèves perpétuelles célèbrent, loin de tous regards une tête énorme de luxuriance ; et cette horreur et cette joie incarnées dans l'Eve puissante fille dorée de ce Soleil et de ce Sol, qui mêle les parfums du Santal et de toutes les fleurs à ceux de sa fière animalité.
La vie quotidienne, en attitudes pittoresques et gaies dans la beauté de leur nécessité, varie sur ce thème de charme inquiet.
La vie s'éveille, au matin, dans la belle humeur de la Terre et du Soleil, comme elle s'était endormie, en riant. Le Plaisir est la seule affaire, et le travail lui même se fait plaisir ; d'exercer sa force, de montrer son adresse, d'obliger un ami. La Sagesse aussi doit être un jeu, jeu de vieillards, aux veillées et la fantaisie sans doute aussi d'avoir peur, de rien, jeu de femmes.
Près de la case en bois de bourao la forêt commence, la fraîcheur et des hommes et des femmes, Tane, Vahine sont là, groupés épars, affairés, reposant déjà, buvant, bavardant, et le rire voltige. L'heure de la sieste a passé, l'heure longue de morne incendie où la vie vaincue déserte l'île enchantée. Avec le crépuscule qui tombe, de partout sourd une agitation d'immense volière dans les demi-ténèbres que la lune cisèle. On danse, on chante ; les hommes accroupis au pied des arbres, les femmes dans l'espace libre, comme dévêtues de blanc, et les dernières clartés du jour les poursuivent, se jouant autour d'elles. Ils chantent : elles miment, selon le rythme des chants, au geste de leurs jambes, de leurs bras l'amour qu'elles invitent et qui va venir avec la nuit. ............
......... Avec la nuit lourde pourtant du vol des démons, des mauvais génies, des esprits, des morts, les TUPAPAU qui tout à l'heure se dresseront, les lèvres blêmes et les yeux phosphorescents, près de la couche où les cauchemars ne laissent pas seules les fillettes tôt nubiles.
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