RETOUR VERS LE PASSÉ
Nous sommes en 1981, j'ai quitté mon pays natal en juillet 1963 et, à part un court séjour en 1964, le temps d'obtenir le renouvellement de mon contrat, je n'y suis pas retourné depuis.
En 1977, j'ai accepté le nouvel emploi que l'on me proposait, principalement parce qu'il était prévu un voyage en France tous les trois ans pour moi-même et ma famille. Cela sous la condition de ne pas prendre de congé durant ces trois années.
En 1980, j'ai droit à ce fameux voyage, mais j'hésite : la peur du passé ou de ne pas pouvoir revenir ? Ou d'être déçu de ce voyage ? Je prétexterai un surcroit de travail pour reporter ce voyage à l'année suivante.
Donc en 1981, je prends quatre mois de congé, je réserve les passages "avion" comprenant aussi ma compagne et mes deux enfants (11 et 10 ans). Nous embarquons le 1er Août et le retour est prévu fin octobre. Mes enfants perdront deux mois de scolarité, mais je compte bien les faire étudier quotidiennement. Je pense qu'avec tout ce qu'ils vont apprendre durant nos déplacements, ils auront aussi acquis pas mal de connaissances.
Départ à l'aéroport de Faa'a
Nous arrivons à Montpellier, petite ville de 60.000 habitants que je fuyais à la moindre occasion pour aller me balader avec mes amis dans les environs immédiats ou des séjours plus longs en montagne (Larzac, Lozère, Pyrénées, Alpes,...). Mais ici aussi, il y a eu du changement, en 1981 cette zone urbaine comprend 300.000 habitants et à part le vieux centre ville, je suis complètement perdu dans les quartiers périphériques. Il m'arrive de rouler pendant un quart d'heure avant de trouver la bonne route pour échapper aux tentacules de la cité.
Nous logeons chez ma mère qui ne nous avait pas revus depuis sa visite à Tahiti en 1973. Je retrouve ma chambre, exactement comme je l'avais laissée 18 ans auparavant, dans les tiroirs de l'armoire quelques vieux vêtements d'hiver, quelques photos, mes dessins, mes documents, mes livres (mes disques m'ont rejoint à Tahiti depuis 1965).
Nous couchons dans cette chambre, ma compagne près de moi, mes enfants sur un matelas posé à même le sol. Je vais faire plusieurs fois un rêve étonnant : "je me réveille dans cette chambre mais 20 ans plus tôt, je suis seul, j'ai vingt ans et tous ce que j'ai vécu - voyage et vie à Tahiti, ma compagne, mes enfants - n'était qu'un rêve". Je suis troublé et je crains de m'endormir le soir de peur de refaire ce rêve. Rêve ou cauchemar ?
Je trouve la rue Chaptal, où ce trouve notre maison, étroite, triste, encombrée par la circulation, alors que nous jouions au football dans la rue et que ce coin était animé par plusieurs petits commerces de proximité, tout le monde se connaissait.
Nous ferons quelques balades dans Montpellier, car il y a quand même pas mal de choses intéressantes à voir. Nous ferons aussi les grands magasins et dans l'un d'eux, un ami d'enfance me reconnaîtra ; depuis nous correspondons régulièrement.
Place de la Comédie Promenade du Peyrou
Mais lors de nombreuses randonnées dans la région (et là je ne suis pas perdu), je vais retrouver toutes les traces de mon passé.
Cirque de Navacelles Palavas
Au mois de septembre, je vais louer un camping-car pour trois semaines afin de partir pour un tour de France (enfin, pour moi la France s'arrête à la Loire )
Nous voilà parti pour les Pyrénées... Foix, Bagnères de Bigorre, Pau (nous visitons le château d'Henri IV et son berceau dans une carapace de tortue).
Nous faisons une escale à Hossegor chez la mère d'un ami de Tahiti qui est, lui aussi, en vacances avec sa famille.
Hossegor/Capbreton Libourne
Ensuite, les Landes, Arcachon et un nouvel arrêt à Libourne chez une sœur de mon épouse.
Enfin nous continuons vers le nord, mais avant je souhaite faire un petit détour par Cahors, préfecture du Lot, dont j'ai gardé un bon souvenir...
Nous roulons sur une petite route de campagne entre Bergerac et Cahors ; j'évite les autoroutes où l'on ne voit rien ; en plus, cela nous permet de nous arrêter quand nous le souhaitons : un site intéressant, un village, un marché, un casse-croûte sur une aire de stationnement,....
C'est à ce moment là que va m'arriver la plus belle émotion de ma vie.
Nous roulons tranquillement, arrivés à un croisement je vois un petit panneau vert en forme de flèche sur lequel est marqué "Les Junies". Je stoppe, c'est le village de mes grands parents maternels, il y a 25 ans que je ne suis pas revenu là ; ma mère m'a dit que ma tante, mon oncle et ma cousine vivent toujours à la ferme, que ma cousine est mariée et a deux filles. Que faire? J'hésite, je ne les ai pas prévenus de mon passage... Mon épouse me dit "il faut y aller, tu ne vas pas passer à côté sans t'arrêter".
C'est décidé, je tourne à droite et je prends cette petite route qui descend une vallée avec une faible pente. Je suis un peu perdu, car à l'époque de mes vacances à cet endroit, venant de Cahors, nous arrivions toujours par le bas de la vallée. Au bout de quelques kilomètres, la vallée s'est élargie et... première émotion, je vois le village, je reconnais le village, inchangé, comme figé pendant 25 ans.
Les Junies (Lot)
Mais je ne suis pas encore arrivé, car la ferme se situe sur l'une des collines environnantes, alors à gauche ou à droite ?
Je m'avance dans le village, quelques vieilles maisons traditionnelles en grosses pierres, le château, l'église, de part et d'autre d'une voie goudronnée avec un petit pont sur le ruisseau, la Masse. Devant l'une de ses maisons, assise sur un banc en pierre, il y a une grand'mère (il y a toujours une grand'mère sur ce banc) ; Je stoppe, descends du véhicule et m'approche d'elle "Bonjour, je cherche la ferme de la famille Alagnou, je sais qu'il faut monter un chemin dans les collines mais je ne me souviens plus de quel côté". Elle m'indique le début du chemin et me situe à peu près la ferme. Enfin (toujours curieux les gens de la région), elle me demande "mais qui êtes-vous", je lui répond "je m'appelle Carabasse" ; "Ah, me répond-t-elle, vous êtes le médecin de Montpellier", première surprise, mon frère n'est pas revenu ici depuis 25 ans lui non plus ; je lui précise "non, le médecin, c'est mon frère" et là, nouvelle émotion, "alors vous êtes celui qui habite au bout du monde".... J'ai les larmes aux yeux.
Nous prenons donc ce chemin (qui était un chemin de terre à l'époque où mon grand 'père l'empruntait avec la charrette et les bœufs), maintenant une petite route goudronnée avec l'électricité et l'eau courante. Je reconnais l'embranchement qui va vers la ferme, je m'avance et je la vois au bout du chemin, toujours identique à celle que j'ai connue. Je m'arrête un peu avant et m'avance à pied. Il y a une jeune fille sur les marches de l'entrée de la maison ; "Bonjour, tu es Yvette ?", elle me répond "non, Yvette, c'est ma mère" ; "Je suis son cousin Pierre de Montpellier". Elle sait qui je suis et appelle sa mère et le reste de la famille. C'est à ce moment-là que j'aurai ma plus belle émotion : je prends ma petite cousine pour ma cousine, ma cousine pour ma tante, ma tante et mon oncle pour mes grands parents.
Je crois bien que c'est la première fois de ma vie d'adulte que j'ai pleuré...
Le lendemain viendront s'ajouter mon cousin, sa femme et ses deux enfants qui habitent une autre ferme un peu plus loin.
Voilà, c'était surtout ce passage que je voulais raconter.
Nous reviendrons tous les trois ans passer 15 jours à un mois dans cette magnifique région, auprès d'amis et de fetii (famille) que nous aimons beaucoup. Notre dernier voyage date de 2006, mais nos enfants et petits-enfants ont pris la relève.
Voir notre diaporama de 2006 >>> VOYAGE_DANS_LE_LOT
Continuons notre "Tour de France"...
Les châteaux de la Loire, Lyon où je retrouve une tante (du Lot) et encore des cousins et cousines, Bessenay (capitale des cerises bigarreaux) où je retrouve un oncle (du Lot lui aussi), le lac de Genève, Chamonix, la vallée du Rhône, Avignon (où j'ai fait mon service militaire, prélude de ma vie polynésienne), enfin retour à Montpellier.
Château de Chenonceaux Basilique de Fourvière
Chamonix Château des papes Avignon
Une petite anecdote qui me revient en mémoire :
Le premier soir de notre arrivée à Montpellier, j'amène ma famille à Palavas pour leur montrer ces grandes plages de sable beige. Il est très tard et il fait déjà nuit ; je me gare devant le casino de Palavas ; je cherche la plage et .... il n'y a pas de plage ! Mes enfants rigolent croyant à une plaisanterie, en fait il y a maintenant un port de plaisance à cet endroit.
"Ma plage" en 1952 qui a disparu depuis
Nous sommes le 1er octobre et il nous reste encore un mois de vacances. Il commence à faire frais mais c'est très supportable. Par contre, je vais recommencer à faire un cauchemar, différent de celui du début de notre séjour, mais qui me harcèlera plusieurs fois : "des évènements surviennent qui m'empêchent de retourner à Tahiti, il n'y a aucune solution en vue". Ce cauchemar va me stresser au point que je prétexterai un appel de mon employeur pour une reprise urgente de mon travail en raison de problèmes. Je souhaite repartir de suite, mais ma mère ne comprend pas ce départ soudain. Finalement nous partirons le 15 octobre avec 15 jours d'avance.
Mes enfants auront perdu un mois et demi de scolarité, mais je les faisais travailler quotidiennement et ils auront appris beaucoup de choses. Ils auront découvert un pays et une société dont ils ne se doutaient même pas.
Je souhaite un pareil voyage à tous les petits polynésiens car ils n'ont qu'une connaissance partielle et partiale de ce pays par l'intermédiaire des expatriés ou des immigrés comme moi (aussi par la télévision .... et ce n'est pas une réussite).
(code recherche : SOUFRA)