Marché tahitien à Papeete
Réédition d'un article déjà publié le 28 mai 2011, mis à jour
Constance Gordon-Cumming (1837 - 1924) est une femme écrivain-voyageur et peintre écossaise.
(d’après « Les voyageuses du XIXème siècle » de A. Chevalier et « A Lady's Cruise on a French Man-of-War » de Constance Gordon-Cumming)
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En rade de Papeete
Miss Gordon-Cumming se préparait en 1880 à regagner l’Angleterre, quand l’occasion lui fut offerte d’effectuer une partie du voyage d’une manière toute imprévue, et qui devait charmer ses goûts aventureux. Un vaisseau français, le Seignelay, qui transportait un évêque catholique en visite pastorales dans son immense diocèse océanien, aborda à Fidjii, et les officiers, ayant fait la connaissance de miss Cumming, l'invitèrent avec courtoisie à les accompagner pendant le reste de leur croisière. …
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Il faut nous contenter d'une dernière citation : un marché tahitien à Papeete.
« Après avoir suivi des chemins traités de rues, mais qui sont, à proprement parler, des allées ombreuses d'hibiscus jaunes et d'arbres à pain, j'arrivai sur la place du marché couvert, où était rassemblée une foule de l'aspect le plus gai qu'on pût désirer; la plupart de ceux qui la composaient portaient des robes de couleurs éclatantes, car il s'agissait de gens du peuple dont le deuil officiel pour la bonne vieille reine touchait à sa fin.
Les longues tresses de cheveux noirs, jusque-là si soigneusement cachées sous les coquets chapeaux marins, se déroulaient à présent dans toute leur longueur, et tresses et chapeaux étaient enguirlandés de fleurs embaumées : jasmin du Cap, oranger, laurier-rose ou hibiscus écarlate. Beaucoup, à la place de boucles d'oreilles, portaient une délicate et blanche étoile de Jasmin. Cette population n'est pas aussi sympathique que celle des districts plus éloignés. Un contact trop continuel avec les navires de commerce et les débiteurs de grogs a contribué largement à détériorer leur santé morale et physique; mais, malgré tout, une foule composée d'indigènes des mers du Sud est toujours un spectacle agréable aux yeux, et ces groupes de jeunes filles, vêtues de longues tuniques d'un rosé délicat, d'un blanc pur, parfois d'une nuance écarlate ou du vert pâle de la mer, paraissent toujours charmantes quand elles jasent ensemble, riant et roulant de minimes débris de tabac dans des bandes de pandanus ou de feuilles de bananier, pour faire l'inévitable cigarette.
« Les hommes portent des pavus en cotonnades de Manchester, fabriquées exprès pour ces îles, et dont les dessins sont indescriptibles. Les plus à la mode sont les fonds rouge éclatant avec des impressions blanches; par exemple, des groupes de couronnes rouges au centre d'un cercle blanc, ou encore des rangées de couronnes blanches alternant avec des groupes d'étoiles. Les fonds bleu sombre avec des cercles et des croix jaune d'or, ou bien écarlate avec des ancres et des cercles orange, ont aussi beaucoup de succès. A la description cela paraît un peu tapageur, mais l'effet est vraiment pittoresque. La variété des dessins, dont pas un ne s'est jamais vu en Angleterre, est quelque chose d'étonnant. En outre, les hommes portent des chemises blanches et des chapeaux de marins, sur lesquels ils attachent des mouchoirs de soie aux vives couleurs, noués sur l'oreille ou qu'ils entourent d'une guirlande de fleurs...
« Chacun apporte au marché ce qu'il peut avoir à vendre ; un jour la marchandise abonde, le lendemain il n'y a presque rien. Que ce soit peu ou beaucoup, le Tahitien le divise en deux lots et attache ses paniers ou ses paquets à un léger bambou qu'il porte en travers de l'épaule, et qui, si léger soit-il, pèse parfois plus que le maigre butin qui y est suspendu : quelques crevettes dans une feuille verte pendent à un bout, un homard à l'autre; ou peut-être un minime panier d'œufs frais, auquel une demi-douzaine de poissons argentés font contrepoids. D'autres fois le fardeau est si lourd, que le bâton plie; c'est, par exemple, deux énormes régimes de bananes sauvages, et vous vous dites que l'épaule du pauvre homme doit être meurtrie, à les avoir descendues par les rudes sentiers de la fente de roc où l'arbre qui les portait avait sans doute sa racine. On dirait des bouquets de gigantesques prunes dorées; comme couleur elles sont merveilleuses; mais, en qualité de comestibles, je ne puis arriver à les apprécier, ce qui est fort heureux, car un proverbe indigène dit que l'étranger qui aime les faces ne peut vivre ailleurs qu'à Tahiti. Quand vous entrez dans le marché frais et ombreux, vous voyez ces grappes d'or pendre par centaines à des cordons tendus d'un bout à l'autre, avec des bouquets de mangues et d'oranges. Ces dernières sont également amoncelées dans des corbeilles garnies de feuilles vertes. Parfois on a insoucieusement coupé une branche entière chargée de fruits. Ananas, noix de coco, fruits de l'arbre à pain abondent également, ainsi que des paniers de rouges tomates. »