Les damnés de la terre (2)
Un conseil de lecture pour nos gouvernants et nos élus, j’ai l’impression qu’ils en ont bien besoin.
Les damnés de la terre
Frantz Fanon (auteur), Jean-Paul Sartre et Alice Cherki (préface), Mohammed Harbi (postface)
Extrait : Chapitre III – Mésaventures de la conscience nationale (page 160)
……………….
Le peuple qui, des années durant, l'a vu ou entendu parler, qui de loin, dans une sorte de rêve, a suivi les démêlés du leader avec la puissance coloniale, spontanément fait confiance à ce patriote. Avant l'indépendance, le leader incarnait en général les aspirations du peuple : indépendance, libertés politiques, dignité nationale. Mais, au lendemain de l'indépendance, loin d'incarner concrètement les besoins du peuple, loin de se faire le promoteur de la dignité réelle du peuple, celle qui passe par le pain, la terre et la remise du pays entre les mains sacrées du peuple, le leader va révéler sa fonction intime : être le président général de la société de profiteurs impatients de jouir que constitue la bourgeoisie nationale.
En dépit de sa fréquente honnêteté et malgré ses déclarations sincères, le leader est objectivement le défenseur acharné des intérêts aujourd'hui conjugués de la bourgeoisie nationale et des ex-compagnies coloniales. Son honnêteté, qui est une pure disposition de l'âme, s'effrite d'ailleurs progressivement. Le contact avec les masses est tellement irréel que le leader en arrive à se convaincre qu'on en veut à son autorité et qu'on met en doute les services rendus à la patrie. Le leader juge durement l'ingratitude des masses et se range chaque jour un peu plus résolument dans le camp des exploiteurs. Il se transforme alors, en connaissance de cause, en complice de la jeune bourgeoisie qui s'ébroue dans la corruption et la jouissance.
……..
Et aussi :
« Le gouvernement national s'il veut être national doit gouverner par le peuple et pour le peuple, pour les déshérités et par les déshérités. Aucun leader quelle que soit sa valeur ne peut se substituer à la volonté populaire et le gouvernement national doit, avant de se préoccuper de prestige international, redonner dignité à chaque citoyen, meubler les cerveaux, emplir les yeux de choses humaines, développer un panorama humain parce qu'habité par des hommes conscients et souverains. » Frantz Fanon