JUSTICE ET POUVOIR
Je précise que cette histoire se passe en 1664, actuellement le pouvoir judiciaire est séparé des deux autres pouvoirs (exécutif et législatif) conformément à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
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Extrait de « MEMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET » par A.CHERUEL, inspecteur général de l’instruction publique – 1862 – 567 pages
Procés de Nicolas Fouquet
CHAPITRE XLVII (pages 436 à 440)
La sentence, quoique rigoureuse, ne satisfit pas les ennemis de Fouquet, et on la fit commuer par le roi en un emprisonnement perpétuel dans la forteresse de Pignerol. Madame Fouquet la mère et sa belle-fille reçurent l'ordre de se rendre à Montluçon; Gilles Fouquet, qui avait été privé de sa charge de premier écuyer du roi, fut relégué à Joinville; M. et madame de Charest, à Ancenis. Ce ne fut pas sans peine que la mère de Fouquet, âgée de soixante-douze ans, obtint de garder avec elle le plus jeune de ses fils, celui que l`on avait voulu exiler å Joinville. Quant aux enfants de Fouquet, ils avaient été amenés, aussitôt après l’arrestation de leur père (septembre 166l), par M. de Brancas, de Fontainebleau à Paris, et remis in leur aïeule. Nous les retrouverons dans la suite.
Ces rigueurs contre la famille Fouquet, et surtout celles qui frappèrent les juges coupables seulement d'avoir préféré leur conscience aux faveurs de la cour, n'étaient pas propres à calmer et à ramener l'opinion publique. Roquesante, conseiller au parlement de Provence, avait adopté l'avis d'0livier d'0rmesson : il fut une des premières victimes de la colère des ennemis de Fouquet; on l'exila à Quimper-Corentin, sous prétexte qu'il avait demandé aux fermiers des gabelles une pension pour une dame de sa connaissance. Cette accusation fut traitée de fable, et on n'imputa la disgrâce de ce juge qu`à la résistance qu'il avait opposée aux sollicitations de Berryer et de Chamillart. Gui Patin écrivait à cette occasion: « Voilà ce qui ne s’est jamais vu, un commissaire exilé. » L’estime publique vengea Roquesante de cette injustice. Pendant que l'on déchirait, dans des pièces satiriques, les juges courtisans, on célébrait le courage de ce membre du parlement d'Aix.
Sept ans plus tard, madame de Sévigné, qui avait la mémoire du cœur, écrivait à sa fille : « Vous savez ce que m'est le nom de Roquesante, et quelle vénération j'ai pour sa vertu. Vous pouvez croire que sa recommandation et la votre me sont fort considérables. Et, plus loin : «Pour M. de Roquesante, si vous ne lui faites mes compliments en particulier, vous êtes brouillée avec moi. » `
Bailly, avocat général au grand Conseil, fut exilé pour avoir dit à Gisaucourt, un des juges, qu'il devrait bien remettre le grand Conseil en honneur, et qu'il serait déshonoré s’il suivait l'exemple de Chamillart et de Pussort. Le président de Pontchartrain avait courageusement résisté aux instances du chancelier et du secrétaire d'Etat la Vrillière, son parent : il en fut puni dans la personne de son fils. Saint-Simon l'affirme, et, malgré quelques erreurs de détail, son récit parait véridique. « Pontchartrain, dit-il, fut un des juges de M. Fouquet; sa probité fut inflexible aux caresses et aux menaces de MM. Colbert, le Tellier et de Louvois, réunis pour la perte du surintendant. Il ne put trouver matière à sa condamnation, et par cette grande action se perdit sans ressource. Il était pauvre, tout son désir et celui de son fils était de faire tomber sa charge sur sa tète en s'en démettant. La vengeance des ministres fut inflexible à son tour; il n'en put jamais avoir l’agrément; tellement que ce fils demeure dix-huit ans conseiller aux requêtes du Palais, sans espérance d'aucune autre fortune. Je le lui ai ouï dire souvent, et combien il était affligé d`être exclu d'avoir la charge de son père. ››
De toutes les persécutions dirigées contre les juges intègres, la plus odieuse fut celle qui frappa Olivier d'Ormesson, lui enleva, à la mort de son père, la place de conseiller d'État qui lui avait été promise, le priva de toutes les places qui devinrent successivement vacantes, et le condamne à une retraite prématurée. Mais, plus encore que Roquesante et Pontchartrain, Olivier d'0rmesson fut vengé par l'opinion publique. Le Brun, qui avait conservé un vif attachement pour Fouquet, voulut faire le portrait du rapporteur, qui avait contribué à le sauver. Pellisson, à peine sorti de la Bastille, se hâta de venir témoigner sa reconnaissance à Olivier d'Ormesson. Enfin, cette honorable disgrâce a assuré au rapporteur du procès, dans le souvenir de la postérité, une place que ses vertus seules n'auraient pu lui donner.
Quant aux juges qui avaient cédé aux instances de la cour, ils furent exposés à une haine si violente et à un mépris si universel, que plusieurs en moururent de désespoir. Nous avons déjà vu quels remords avaient troublé les derniers moments du président de Nesmond. Dès le mois d'octobre 1665, Hérault, conseiller au parlement de Bretagne, succomba « On parlait de sa mort comme d'un coup du ciel, dit Olivier d’Ormesson.» Sainte-Hélène ne tarda pas à le suivre; il mourut subitement. « Plusieurs personnes dignes de foi m'ont dit, ajoute Olivier d'Ormesson en racontant cet événement, que, plus de trois mois auparavant, il se justifiait à tous ceux qui le voyaient du procès de M.Fouquet ; il ne parlait d'autre chose. L'on prétendait qu'il était mort de chagrin d'avoir été trompé dans les récompenses qui lui avaient été promises. » On ne manqua pas de rappeler que c`était en face de la Bastille qu'il avait été atteint du mal qui l'avait enlevé brusquement. Presque dans le même temps, Ferriol, conseiller au parlement de Metz, succombe à une maladie de langueur. On imputa également à la vengeance céleste la mort de ce magistrat frappé dans la force de l'âge. Il avait désiré et espéré la charge de lieutenant criminel, et, comme Sainte-Hélène, il avait été trompé dans son attente.
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