JEAN-PAUL MARAT (12)

Publié le par N.L. Taram

Desmoulins

 

 

Quelques lettres adressées à Camille Desmoulins par Jean-Paul Marat.

 

Toujours d’actualité…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES CHARLATANS MODERNES ou Lettres sur le charlatanisme académique - 1791

 

Lettre I

 

            On répète de toutes parts que ce siècle est celui de la philosophie ; mais cher Camille, quel contraste entre nos prétentions ridicules et notre stupide crédulité ! Jamais on n'entendit tant vanter nos lumières, et jamais on ne vit tant de visionnaires, tant de dupes. Depuis plusieurs années, le peuple de tous les rangs ne court-il  pas, à l'envie, après d'effrontés jongleurs, ne se fait-il pas gloire de s'attacher a leur char ?

         En dépit des philosophes de nos jours, non, il n'est point de progrès pour la raison humaine: l'expérience des pères est perdue pour leurs fils ; et chaque individu, partant toujours du même point d'ignorance, ne s'instruit qu'à ses dépens.

         Dans les classes inférieures de la société, les connaissances se bornent à quelques procédés mécaniques et aux moyens de se tirer de la misère.

         Dans la classe mitoyenne, elles se rapportent à quelque profession, quelqu'art, quelque science, et aux moyens de prendre ses avantages avec adresse.

         Dans les classes supérieures, elles ont pour objet l'art de plaire, de parvenir, de jouir, pour ne rien dire de l'art des expédients.

         Ainsi, dans toutes ces classes, l'éducation tend presque uniquement à exercer les organes, à cultiver la mémoire, à étouffer le naturel, ou à former l'âme à la dissimulation, à l'astuce, à l'intrigue.

         Restent donc ceux en qui les lumières semblent concentrées, et qui s'érigent en précepteurs du genre humain ; mais pour un sage, que d'hommes vains et superficiels !

         Que sera-ce d'une nation légère, chez laquelle les prétentions tiennent lieu de mérite ; chez laquelle l'esprit dispense de jugement ? A peine quelque préjugé est-il détruit par le temps, qu'on le voit remplacé par d'autres. Qu'y avons-nous gagné ? Nous ne croyons plus en dieu ; mais nous croyons au diable ; nous nous moquons des martyrs, et nous révérons les magiciens ; nous rions des mystères, et nous redoutons les prestiges ; nous jouons les esprits forts,et nous sommes des illuminés Charlatans modernesque tous les enthousiastes qui ont pris la plume se sont efforcés de faire passer les prestiges du Mesmérisme â la faveur des prodiges de la nature : c'est de l'émanation de la lumière des astres radieux qu'ils ont conclu l'influence des planètes sur les corps sublunaires ; et c'est de l'action invisible de l'aimant qu'ils ont conclu la réalité du magnétisme animal.

         Après cela, est-il étrange que le public soit la dupe éternelle des imposteurs ! N'en doutons point ; telle est sa sottise, que, pour le prendre sans cesse au même piège, il suffit d'en changer le nom. Pour favoriser les succès de l'imposture, à ces vices d'éducation se joignent quelquefois des causes accidentelles. Si on recherchait avec soin celle de la crédulité, qui déshonore la génération psente, peut-être la trouverait-on dans la préférence marquée que les sciences ont obtenue sur la littérature. Celle-ci, s'efforçant d'instruire et de plaire, cherche à parler au cœur et à la raison : celles-là, ne voulant qu'endoctriner, disposent à l'amour du merveilleux. L'étude de la nature, si simple dans ses moyens si féconde dans ses résultats, offre une infinité de phénomènes surprenants, qu'il n'est pas aisé d'éclaircir : ne pouvant les ramener a des causes naturelles, on leur en suppose de merveilleuses , et si les hommes ne peuvent pour toujours se défendre de cet écueil, que feront des écrivains médiocres, et cette foule d'écrivains ignares qui ne cessent de barbouiller du papier, sur la physique , l'histoire naturelle, la chimie ! Crois-moi, Camille, les savants ont si souvent gâté le jugement des amateurs, en les accoutumant au merveilleux et à un jargon vide de sens, que c'est à qui l'emportera en stupidité ; et par une suite nécessaire de cette malheureuse disposition d'esprit, plus un ouvrage est inintelligible, plus il est en possession de plaire.

         On objectera peut-être que Mesmer et Cagliostro ont trouvé plusieurs suppôts dans l'académie française et n'en ont pas trouvé un seul dans l'académie des sciences. Mais on ne fait pas attention que l'académie des sciences compte au nombre de ses membres les médecins les plus accrédités de la capitale : et tu conçois ce que peut la jalousie de métier : on ne fait pas attention non plus que l'académie des sciences est composée d'adeptes en tout genre ; et tu conçois ce que peut la crainte d'être éclipsé. On ne fait pas attention encore que les membres de l'académie française, qui se sont rangés sous les étendards de nos jongleurs, sont eux-mêmes de grands magiciens : le plus zélé disciple de Mesmer est un enchanteur de cour ; et la plus triste victime de Cagliostro, est un prélat qui a travaillé au grand œuvre. Enfin ou ne fait pas attention que tous les enthousiastes qui ont pris la plume se sont efforcés de faire passer les prestiges du Mesmérisme â la faveur des prodiges de la nature : c'est de l'émanation de la lumière des astres radieux qu'ils ont conclu l'influence des planètes sur les corps sublunaires ; et c'est de l'action invisible de l'aimant qu'ils ont conclu la réalité du magnétisme animal.

         Ainsi, l'étude des sciences, qui procure si rarement de vraies lumières, traîne presque toujours à sa suite la crédulité et la superstition ; preuve évidente qu'elle ne convient pas à la multitude.

         Mais ce n'est pas de Mesmer et de Cagliostro, que tu veux être entretenu ; leur règne est fini, et ils sont presque oubliés : c'est d'une autre espèce de charlatans, toujours au milieu de nous, courants les cercles, encensés par les trompettes de la renommée, engraissés par le gouvernement, et dévorants, dans l'oisiveté et les plaisirs, la substance du malheureux artisan, du pauvre laboureur.

 

http://books.google.fr/books?id=YiJMAAAAcAAJ&pg=PA1&lpg=PA1&dq=les+charlatans+modernes+marat&source=bl&ots=pe-zORmDMP&sig=hDMahn6n-Jk0fHQ00dIx-5uufUg&hl=fr&sa=X&ei=rBJpT4vfEsqZiAKViuyLAg&sqi=2&ved=0CFMQ6AEwBg#v=onepage&q&f=false

 

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G
<br /> Nous avons publié les Oeuvres politiques complètes de Jean-Paul Marat (10 volumes dont 2000 pages de Guide de lecture).<br /> <br /> <br /> Pour toute personne souhaitant se documenter sérieusement sur L'Ami du Peuple, on peut recommander le site:<br /> <br /> <br /> http://www.marat-jean-paul.org<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> TB d'avoir republié ces lettres à Camille Desmoulins.<br />
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N
<br /> <br /> Bonjour Charlotte et merci pour votre commentaire.<br /> <br /> <br /> Jean-Paul Marat est pour moi une référence et je découvre la plupart de ses textes au fur et à mesure de leur publication. Je viens de jeter un coup d'oeil sur votre site, félicitations ! je<br /> mets le lien dans mes favoris et un petit encart de rappel entête de mes articles.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Bonjour Pierre,<br /> <br /> <br /> Tu me gâches notre premier rayon de soleil, mais ce n'est pas grave.<br /> <br /> <br /> Ce qui l'est, comme tu l'écris, c'est que ce soit toujours d'actualité ... Quel gâchis !<br />
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N
<br /> <br /> Bonjour Jacques (d'Avera),<br /> <br /> <br /> Il y aura d'autres rayons de soleil...... Quoique j'ai quelques doutes ! <br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Bonjour PIERRE...comme déjà dit rien de nouveau sous le soleil.<br />
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N
<br /> <br /> Bonjour Jacques,<br /> <br /> <br /> Oui, en effet... De temps en temps, je lis ces vieux textes et en particulier de Marat qui est ma référence. Celui-là, je l'ai trouvé ce soir (heure de Tahiti)... et comme d'habitude, il colle au<br /> poil avec l'actualité.<br /> <br /> <br /> Très souvent mes articles qu'ils soient sur la littérature, la poésie, la musique ou autres me sont inspirés par des évènements du jour même.<br /> <br /> <br /> <br />