L’EUROPE Á DEUX

Publié le par N.L. Taram

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Non, monsieur de Rugy, nous ne signerons pas ! (Argumentaire complet)

  Mercredi 3 janvier 2018

Crédits photo : Cobber17, Jpbazard

Vendredi 29 décembre dernier, monsieur de Rugy adressait aux groupes parlementaires de l’Assemblée nationale deux textes à signer pour la date limite du 4 janvier. Il s’agit d’un accord entre le Bundestag et l’Assemblée nationale d’une part et d’une résolution commune en direction de nos gouvernements respectifs en France et en Allemagne. Cela en vue de l’anniversaire du traité de l’Elysée qui a ouvert la nouvelle période amicale des relations franco-allemandes. Compte tenu de l’importance de ces textes et du bref délai consenti, quand bien même étions-nous tous en pause, nous les avons évidemment immédiatement étudiés vendredi, samedi, dimanche 31, le lendemain et jusqu’à ce jour. Évidemment, ces textes ne sont pas amendables, ils ont été écrits sans nous et nous sommes invités à signer pour approbation ou à ne pas le faire.

Nous ne signerons pas.

Pas seulement en raison du procédé brutal et autoritaire coutumier de la présidence de Rugy qui avait pourtant promis une préparation coopérative de l’anniversaire du traité de l’Élysée. Mais parce que ces textes sont d’abord une faute à l’égard de la communauté des nations parties prenantes de l’Union européenne qu’il méprisent en les ignorant. Le format bilatéral franco-allemand prolonge une situation totalement dépassée depuis l’époque de l’Europe des six. Il ne mentionne les autres nations que comme autant de potiches sur la cheminée de l’illusoire bon vieux « couple franco-allemand ». Ce « couple » est ressenti à juste titre comme un directoire aussi arrogant qu’archaïque. Pour entretenir la fiction de cette relation privilégiée, les auteurs en viennent à dédaigner les relations et affinités réelles de la France avec l’Europe du sud et de langue latine. En effet c’est avec elle surtout que « nous sommes le plus étroitement liés au plan politique et sociétal » comme le dit le texte qui réserve pourtant cette affinité à la seule relation franco-allemande. La France n’est pas dans son rôle quand elle écarte ses interlocuteurs historiques.

Nous ne signerons pas. Parce que le contenu de ces textes ne correspond pas aux urgences de notre temps en Europe. La paix ne vient que par la préparation commune de la guerre. L’harmonisation sociale évoquée ne comporte aucune clause de non régression des droits acquis. Les textes n’envisagent aucune amélioration concrète nouvelle, pas même l’élévation du SMIC allemand au niveau français. L’économie n’est envisagée que sous l’angle du droit des sociétés privées ou le culte des nouvelles technologies. La crise de l’écosystème n’est abordée que pour renvoyer aux documents insuffisants déjà signés et à la création d’un marché carbone. Ainsi le pays le plus émetteur de gaz CO2 d’Europe et celui qui est le plus nucléarisé n’ont rien à dire sur leurs responsabilités devant la mise en danger de mort de l’écosystème.

Au total, ces textes sont indigents soit par le niveau de généralité auquel sont limités leurs vœux soit par une obsession économique bornée aux seuls critères techniques rabâchés du libéralisme le plus éculé.

Nous ne les signerons pas aussi parce qu’ils contiennent de nombreuses dispositions contraires à la nature Républicaine spécifique de la France en tant qu’État unitaire. L’attribution aux « districts européens » de compétences élargies et même de droits « d’expérimentation législative » constitue un changement de cap institutionnel dont nous ne sous-estimons pas le potentiel destructeur. C’est une chose de prendre en considération les revendications indépendantistes lorsqu’elles existent et que le vote des peuples les affirme. C’en est une autre de propager le démembrement de la souveraineté collective du peuple en « districts » concurrents, et d’engager le processus de destruction de l’État Nation, seul cadre actuel où s’exerce cette souveraineté. Nous voulons une Europe des peuples. Nous refusons les expérimentations hasardeuses qui commencent par défaire la France.

Une fois de plus les rédacteurs de ces textes, avec leurs méthodes a-démocratiques inséparables des objectifs de leurs « résolutions », usent du passage en force pour faire endosser des positions dont le grand nombre ne voudrait jamais si on lui demandait son avis. Une fois de plus les inspirateurs de ces textes veulent faire comme si les progrès de l’Europe de l’argent, de l’armement et du relativisme écologique étaient le progrès de l’Europe elle-même. Et cela alors même que les peuples sont tenus à l’écart de la décision, que leur refus de la guerre est ignoré, leur objectif de bien-être oublié, leur priorité pour l’impératif écologique nié.

Une fois de plus deux visions du futur de nos sociétés s’opposent. Le projet de la droite allemande et du parti présidentiel en France n’est pas celui du peuple républicain écologiste et social dont nous portons la parole. Certes eux ont aujourd’hui le pouvoir de décider. Mais nous avons le devoir de résister et de proposer de faire autre chose, autrement

Jean-Luc Mélenchon et les membres du groupe parlementaire de La France insoumise

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PREMIÈRE ANALYSE :

1) L’EUROPE RABOUGRIE À DEUX MÉPRISE LE SUD    

La proposition de cette Europe à deux, arrogante et rabougrie, dénature totalement l’idée d’un Europe où les Nations sont toutes à égalité.

En prévoyant d’arrêter une position commune sur la réforme de la zone euro au printemps 2018, la France et l’Allemagne snobent le Conseil de Juin durant lequel les Etats-membres doivent décider collectivement d’une feuille de route. La France s’empêche ainsi de faire des propositions pour la zone euro en se liant par avance à une position commune avec l’Allemagne sur le sujet.
Alors même que Mme Merkel n’arrive pas à constituer un gouvernement qui ait reçu l’investiture du Bundestag, on lui permet d’imposer sa vision en Europe.

Nos partenaires du Sud sont écartés par cet accord. Historiquement, la France et l’Allemagne n’ont pas la même proximité avec certains pays. Là où l’Allemagne tend à se tourner vers l’Est et la Turquie, la France est davantage liée avec les pays du Sud de l’Europe et la Méditerranée. L’Espagne, l’Italie, le Portugal ou encore la Grèce sont des partenaires essentiels pour la France.

2) UN VOCABULAIRE QUI EN DIT LONG

Le vocabulaire utilisé dans le traité indique clairement son projet. Il ne vise pas à la démocratisation, à l’harmonisation sociale par le haut ou à la lutte contre le changement climatique. Le mot « marché » apparait plus de fois dans le texte que ceux de « droits » ou de « citoyens ». Alors qu’il y a cinq occurrences du terme « monnaie », l’emploi ou la lutte contre le chômage ne sont mentionnés que trois fois. Le mot « environnement » n’apparait nulle part.

Les peuples français et allemand sont entièrement absents de cette proposition de résolution: le mot n’est utilisé qu’en dernier lieu en seulement deux phrases. Le texte mentionne des « consultations citoyennes » dont les modalités ne sont pas définies. Il ne parle pas de référendum. Le peuple ne veut pas être consulté, il décider et voter.

3) LES PONCIFS LIBÉRAUX

Ce texte rappelle également l’ordre de priorité libéraux français et allemands. Les exigences de « compétitivité » et le fait d’avoir des finances publiques « saines » sont évoqués avant l’exigence d’avoir une sécurité sociale « efficace ».

Mais encore faudrait-il que l’on s’accorde sur les termes. Que sont des finances publiques « saines » ? Si l’indicateur utilisé pour le mesurer est l’habituel « solde structurel », ou la règle d’or, ou les 3% alors nous ne sommes pas d’accord. En outre, que constitue une sécurité sociale « efficace » ? Dans la novlangue libérale, cela veut dire une sécurité sociale restreinte. Nous voulons au contraire une sécurité sociale « efficace » c’est à dire universelle.

Pour les rédacteurs de ce projet de résolution, l’approfondissement du marché unique semble le seul horizon économique possible de l’Europe. Ils s’inscrivent ainsi dans la droite ligne des bâtisseurs de l’Europe libérale depuis 30 ans. Les « projets communs pour le futur » visent le financement de concepts certes à la mode, mais flous, tels que « l’innovation de rupture », les « technologies d’avenir », mais surtout les « startup ». Nous ne partageons pas cette vision étriquée de l’économie européenne.

De plus, les règles du droit national sont décrites comme des « entraves » qu’il faudrait supprimer dans les régions transfrontalières. Or, nous refusons que des législations différentes s’appliquent sur notre territoire, selon les régions. En fait, ces « entraves » sont autant de ces protections que les libéraux rêveraient de supprimer, pour avoir toujours plus de « flexibilisation ».

4) L’AMBIGUÏTÉ SOCIALE

En matière de droits sociaux, l’alignement avec l’Allemagne a de quoi faire peur. C’est le pays des jobs à un euro et de la retraite à 67 ans. Les pauvres y sont bien plus nombreux qu’en France. Le salaire minimum allemand est inférieur de 10% au SMIC français. De plus, il ne s’applique pas à tous les secteurs.

Dans le texte, il n’y a aucune garantie sur le fait que l’harmonisation entre la France et l’Allemagne se fasse uniquement dans le sens du progrès des droits des travailleurs. L’expérience récente au niveau européen montre plutôt l’inverse. Le « socle européen des droits sociaux » signé en novembre est ainsi d’un niveau de protection inférieur aux textes européens existants auparavant sur le sujet comme la « charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs » de 1989. La notion d’harmonisation par le haut y a notamment disparue.

Pour l’instant, la méthode Macron en matière de droits sociaux, c’est de germaniser la France : destruction de la force de la loi et transfert du pouvoir normatif au niveau des entreprises et des branches.

5) LES TAMBOURS DE GUERRE DE L’OTAN

En appelant les gouvernements à intensifier la Coopération structurée permanente (CSP), ce texte lie plus irrémédiablement la France à l’OTAN.

En effet, « la lettre d’intention de la Coopération Structurée Permanente » en matière de défense affirme en introduction que l’OTAN est la « pierre angulaire de la défense européenne ».
Ainsi, la Coopération Structurée Permanente prévoit de surveiller que les Etats accomplissent bien les efforts nécessaires pour atteindre les exigences présentées par M. Trump en matière de dépenses militaires : 2% du PIB.

Rappelons néanmoins que le traité de l’Elysée était initialement souhaité par De Gaulle pour éloigner la RFA des Etats-Unis. Le gouvernement français y excluait délibérément toute mention de l’OTAN, du GATT, ou encore du Royaume-Uni. Il s’agissait alors d’affirmer une Europe indépendante des Etats-Unis et de la Russie.

Aujourd’hui les Etats-Unis ont renouvelé les preuves de leur activisme anti-russe dans le conflit en Ukraine. Ils y livrent des armes létales au gouvernement ukrainien. Le « couple franco-allemand » veut par un « Schengen militaire » permettre la libre circulation des troupes de l’OTAN sur le continent.

L’Europe de la Défense prévoit également le développement de programme d’armement conjoints. Que restera-t-il de l’indépendance matérielle de la France ? Pour nous, elle doit être conservée à tous prix. Le cas du fusil FAMAS, utilisé par l’armée française depuis 1970 et désormais remplacé par un modèle allemand, ne doit plus être reproduit.

6) LES RÉFUGIÉS

L’enfer franco-allemand pour les réfugiés est pavé de bonnes intentions. Ce n’est pas nouveau. « Agir sur les causes de l’immigration » dit le texte. Mais alors pourquoi ne pas commencer par mettre en cause l’obligation pour les pays « ACP » de signer des accords de partenariat économique qui les ruinent ? « Integrer les réfugiés » ? Mais alors pourquoi commencer par les détruire moralement avec des accords comme ceux conclus avec la Turquie et mis en oeuvre en Libye ? Alors même que la coordination de l’asile se fait au niveau des 28 Etats européens, Mme Merkel s’en était allée seule négocier et signer en Turquie cet accord dit « Visa+adhésion contre migrants ». Or, le texte affirme que notre politique doit en la matière « s’inspirer des bonnes pratiques du pays partenaire ». Il y a donc de quoi sérieusement s’interroger.

7) L’ÉCOLOGIE EN MODE MINEUR

Une seule phrase, vague, sur tout le document est consacrée au sujet majeur qu’est la lutte contre le changement climatique.

L’Allemagne est la mauvaise élève du continent en matière d’écologie. Elle est notamment le pays qui a fait basculer le vote en faveur du glyphosate au niveau européen. Sur le plan environnemental, la convergence des procédures législatives française et allemande dans la transposition en droit national des directives européennes peut être une vraie catastrophe. Car le droit environnemental français a une tradition d’exigence : les objectifs sont généralement plus élevés que dans le droit européen. Ce n’est pas la tradition en Allemagne.

L’essentiel de ce qui est proposé en matière de lutte contre le changement climatique est de poursuivre le marché carbone. Celui-ci est pourtant dénoncé par les ONG environnementales comme étant inefficace. Par ailleurs, le traité ne dit rien sur le nécessaire protectionnisme écologique aux frontières de l’Europe.

Il faudra donc bien plus qu’une simple phrase dans un texte pour résoudre le manque d’initiative politique et rattraper notre retard dans certains secteurs comme le déploiement des -énergies renouvelables.

8) LA SOUVERAINETÉ POPULAIRE RIDICULISÉE

Ce projet de résolution semble encourager la création de Frankenstein territoriaux, les nouveaux « euro districts ». Il n’y est rien de moins prévu que de rompre avec l’unité de la loi en France en en faisant des zones de droit spécial élaborées de manière conjointe avec l’Allemagne. Le texte évoque des « clauses d’expérimentations » dans les législations nationales et l’octroi aux euro-districts de compétences exorbitantes du droit commun. Espérons que l’attachement du président Macron à la dérégulation ne va pas aller jusqu’à transformer l’Alsace en zone franche !

Enfin nous dénonçons les lubies du président De Rugy qui réduisent la dignité des assemblées à un folklore désuet des chaises musicales franco-allemandes. Il voudrait que certaines séances de l’Assemblée nationale soient présidées par son homologue du Bundestag. Est-ce bien sérieux d’envisager ainsi la souveraineté du peuple en France ? Et pourquoi pas imaginer Mme Merkel remplacer M. Macron et vice versa ? Faut il en rire ou en pleurer ?

Pas sûr que le Conseil d’Etat ou la Cour constitutionnelle allemande voient d’un bon œil de telles libertés prises avec le texte de notre Constitution et la Loi fondamentale allemande. Pas sûr non plus que le Sénat apprécie que l’on parle en son nom sans qu’il soit signataire. En effet, l’accord entre l’Assemblée et le Bundestag parle d’accord entre « deux Parlements », ce alors même que notre Constitution rappelle que le Parlement français est constitué … de l’Assemblée et du Sénat.


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Publié dans Politique

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A
L’Allemagne est une construction économico-industrielle dont les institutions furent fixées par les vainqueurs sur fond de guerre froide naissante et malgré une lourde défaite, ses grandes industries historiques dominent le paysage industriel mondial en faisant jeu avec les autres empires que sont les USA et la Chine, la grande Allemagne est de retour, faut-il s’en inquiéter ? Cessons de rêver et considérons la France telle qu’elle est dans le monde tel qu’il est. Après la révolution, la France est rentrée dans un long tunnel et plus que des moulins à vent elle manque singulièrement de politiques durables et de directions puissantes pour les construire. A titre personnel mais je suis le seul à le penser, le dogme du couple Franco-Allemand est un mythe et les problèmes arrivent avec le creusement des économies..<br /> https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/trop-dexcedents-allemands-nuisent-la-sante-de-leconomie-europeenne
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