JEAN-PAUL MARAT (14)

Publié le par N.L. Taram

Les Chaînes de l'esclavage
Préjugés stupides.
 
Ouvrage destiné à développer les noirs attentats des princes contre le peuple ; les ressorts secrets, les ruses, les menées, les artifices, les coups d'état qu'ils emploient pour détruire la liberté, et les scènes sanglantes qui accompagnent le despotisme.
 
PAR J.P. MARAT, L'AMI DU PEUPLE
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Impatiens freni.
(Page 262 à 265)
 
Préjugés stupides.
 
Je ne sais ce qui doit le plus surprendre, de la perfidie des princes, ou de la stupidité des peuples.
Non seulement cette extrême facilité du peuple à être ébloui par le faste, la pompe, les grandes entreprises, la bonne fortune & les qualités brillantes des princes contribuent à sa servitude : mais ces sots préjugés sont souvent des titres dont il laisse jouir les tyrans.
     Le vulgaire mesure sa vénération sur la puissance, & non sur le mérite ; il méprise les monarques qui ne sont pas (1) absolus, & il révère les despotes. Obéir sur le trône est pour lui un ridicule insoutenable ; il n'est frappé que de la grandeur d'une autorité sans bornes, & il n'admire que l'excès du pouvoir.
Un roi n'est-il pas tout-puissant ? Les peuples le méprisent : souverain sans pouvoir, esclave couronné, tels sont les titres qu'ils lui donnent. Ce n'est que lorsqu'il peut les faire gémir qu'ils commencent à le révérer : souvent même, loin de s'opposer à ses entreprises pour devenir absolu, ils se disputent à l'envie le malheur d'être soumis à un despote.
Les vues du cabinet doivent être cachées ; on ne saurait les divulguer sans découvrir les secrets de l'état, & faire échouer ses entreprises : d'où l'on infère que toute la gloire des peuples consiste dans l'obéissance aveugle aux ordres du gouvernement.
Le roi ayant le droit de nommer ses ministres, on en conclut que le peuple n'a pas le droit de leur résister (2).
Certains peuples ont la sotte prévention (3) de croire que la gloire du prince consiste dans la dépendance servile des sujets : d'autres se piquent du faux honneur d'une (4) loyauté à toute épreuve pour leurs maîtres ; & c'est la folie de chaque nation de vanter la sagesse de ses lois. Sottes maximes, préjugés stupides destructeurs de la liberté !
 
Continuation du même sujet.
 
Mais jusqu'où ne va pas la stupidité du peuple ! Qui ne serait pénétré de douleur à la vue des égarements de l'esprit humain ! À voir les hommes se livrer sans sujet aux fureurs des passions les plus effrénées ; on les croirait des automates, ou plutôt des forcenés. Combien abhorrent leurs semblables, dont ils ne reçurent jamais aucun sujet d'offense, & dont ils auraient à se louer, s'ils les connaissaient, simplement parce qu'ils n'ont pas la même opinion sur des objets qu'ils n'entendent ni les uns ni les autres ? & combien comblent de bénédictions les monstres qui les tyrannisent ? Il n'y eut jamais sous le soleil de tribunal plus épouvantable que l'inquisition ; tribunal redoutable à l'innocence, à la vertu la plus pure ; tribunal où la malice la plus raffinée, la perfidie la plus consommée, la barbarie la plus recherchée, déployaient à la fois leurs fureurs, & où tous les supplices de l'enfer étaient exercés contre ses malheureuses victimes. Aurait-on imaginé qu'il se trouvât sur la terre des hommes auxquels un pareil tribunal ne fût en horreur ? Hélas ! parmi eux-mêmes qu'il enchaînait, & qu'il devait épouvanter : il s'en est trouvé qui tremblaient de le perdre. À la prise de Barcelone, les habitants stipulèrent qu'on leur laisserait l'inquisition.
 
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(1) Le sénat Romain ne fut plus respecté dès que sa puissance fut partagée.
Le Czar gouverne ses états avec un sceptre de fer : arbitre de la vie et de la mort, sa volonté est sans appel. Cette autorité sans bornes, loin d'être odieuse à ses sujets, semble être fort de leur goût. Plus le prince a de pouvoir, plus ils le croient près de la divinité. Quand on interroge un Russe sur une chose qu'il ignore : Il n'y a que Dieu et le Czar qui le sache, répond-il à l'instant.
Et la puissance limitée des rois d'Angleterre n'est-elle pas pour les François un chapitre intarissable de mauvaises plaisanteries ? Les Anglais eux-mêmes ne sont pas exempts de ces petitesses.
On rapporte qu'Edgar voulant aller à la chasse par eau de Chester à l'abbaye de St.-Jean-baptiste ; obligea huit rois, ses tributaires, de conduire sa barque. Les historiens Anglais sont charmés de compter dans le nombre Kennal, roi d'Écosse, et les historiens Écossais s'opiniâtrent à nier ce fait. Hume, hist. d'Angl.
(2) La maxime des Tories.
(3) Les François sont tellement imbus de ces préjugés, qu'ils ne considèrent jamais dans les entreprises publiques que la gloire du monarque.
(4) Les Castillans se piquent d'une fidélité inviolable pour leur roi. Lorsque l'empereur Joseph voulut détrôner Philippe V, et que ses armes firent proclamer dans Madrid l'archiduc roi d'Espagne, personne ne répondit aux acclamations de la soldatesque ; les paysans et les citadins assommaient a la brune les soldats qu'ils rencontraient ; les chirurgiens empoisonnaient les blessés dans les hôpitaux, les courtisanes infectaient à dessein les vainqueurs ; les curés et les paroissiens s’enrégimentaient d'eux-mêmes, et volaient au secours de Philippe ; les évêques se mettaient à la tête des moines, et jusqu'aux femmes combattaient pour leur roi. Abr. chron. de l'hist. d'Esp.
JEAN-PAUL MARAT (14)
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T
Je pense sans hésitation pour la stupidité des peuples. Depuis la Révolution rien n'a changé. Plus de vingt-cinq années avant la Révolution de 1789, Marat pouvait écrire : « Le Mal est dans la chose même et le remède est violent. Il faut porter la cognée à la racine. Il faut faire connaître au peuple ses droits et l'engager à les revendiquer ; il faut lui mettre les armes à la main, se saisir dans tout le royaume des petits tyrans qui le tiennent opprimé, renverser l'édifice monstrueux de notre gouvernement, en établir un nouveau sur une base équitable. Les gens qui croient que le reste du genre humain est fait pour servir à leur bien-être n'approuveront pas sans doute ce remède, mais ce n'est pas eux qu'il faut consulter ; il s'agit de dédommager tout un peuple de l'injustice de ses oppresseurs. ». Aujourd'hui il n'est plus question de Liberté mais de Révolution Numérique.
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N
J.P. Marat était un visionnaire, mais peut-être bien utopiste...<br /> J'ai l'impression qu'après de réels progrès suite à la révolution (nous sommes le 14 juillet, n'en déplaise aux généraux qui défilent)... nous sommes en train de revenir vers un système du genre de "l'ancien régime", pour ne pas dire "féodal".