PLUS DURE SERA LA CHUTE…
Extrait de « MEMOIRES SUR NICOLAS FOUQUET » par A.CHERUEL , inspecteur général de l’instruction publique – 1862 – 567 pages
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En même temps que la famille de Fouquet prenait possession de ces hautes dignités ecclésiastiques, le surintendant recevait Mazarin et la cour dans sa splendide demeure de Vaux. Le cardinal s'y arrêta au mois de juin, lorsqu'il partit de Paris pour se rendre à Saint-Jean-de-Luz. La cour, qui devait aller s'établir à Bordeaux pendant les mois d'août et de septembre, vint à son tour visiter le château de Vaux, et fut traitée magnifiquement par le surintendant :
Durant mon séjour au château,
Comme est dit, de Fontainebleau.
Celle ravissante demeure,
J'entendais parler à toute heure.
Mais non sans admiration.
De la belle réception,
A jamais, dit-on, mémorable.
Et du festin incomparable,
Poli, délicat, abondant.
Que monsieur le surintendant.
Qui sait user avec largesse
De ses biens et de sa richesse.
Fit à leurs Majestés dans Vaux,
Où par cent régales nouveaux.
Dont on peut garnir une table.
Et par un ordre inimitable.
Où ne survint nul désarroi,
Il charma la reine et le roi.
Et toute leur nombreuse suite.
Qui fut volontiers introduite
Dans celte admirable maison,
Dont on peut dire avec raison.
Que merveilleuse elle doit être.
Aussi bien que son sage maître.
Digne, sans mentir, d'être aimé.
Et qui fut alors estimé
La merveille des magnifiques
Aussi bien que des politiques.
Chateau de Nicolas FOUQUET à Vaux-le-Vicomte
Fouquet, délivré d'un collègue dont la sévérité et la haute réputation le retenaient, s'abandonna de plus en plus à ses goûts de dépense et à ses passions effrénées. De là une administration dont les désordres provoquèrent des plaintes très-vives, qui parvinrent jusqu'à Mazarin. Un des financiers qui paraissait avoir le plus de crédit, le contrôleur général Hervart, écrivait au cardinal, le 22 juillet 1659 : « Je me suis donné l'honneur, monseigneur, d'écrire à Votre Éminence, le 22 du mois passé, que j'estimais nécessaire de différer les publications et adjudications des fermes jusqu'à son retour. Je suis dans les mêmes sentiments, et je crois, monseigneur, d'être obligé d'avertir Votre Éminence que, aussitôt qu'elle a été partie, M. le surintendant est rentré dans son naturel et a repris la conduite qu'il tenait lorsqu'elle était à Lyon. Il m’ôte, autant qu'il peut, la connaissance et confond le passé avec le présent, afin que je ne puisse distinguer ce qui est légitimement dû d'avec ce qui ne l’est pas, et que personne ne puisse voir clair dans les finances que lui et ses créatures. Votre Éminence jugera par là, s'il lui plaît, s'il est à propos qu'elle en écrive, ainsi qu'elle avait résolu de faire avant son départ. Je la supplie seulement de me faire la grâce de m'ordonner comment elle veut que j'agisse. »
Mazarin n'avait pas assez de confiance dans Hervart pour donner suite à ses plaintes. Nous verrons même plus loin qu'il le regardait comme un homme vaniteux et sur lequel on ne pouvait faire aucun fonds. Aussi le surintendant continua-t-il à se livrer à ses goûts de faste et de prodigalité. Les plaisirs, auxquels il s'abandonnait, furent troublés cependant par un malheur domestique et par des avis qu'il reçut de la cour. Au commencement de septembre, un de ses fils mourut ; C’est une lettre de madame Scarron à madame Fouquet qui nous en instruit.
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Quant au danger qui menaçait Fouquet du côté de la cour, ce fut Gourvillc qui l'en avertit. Colbert, qui, comme nous l'avons vu, était devenu le principal confident de Mazarin, se joignit à Hervart pour accuser le surintendant. Dans un Mémoire qu'il adressa à Mazarin, il demandait l'établissement d'une chambre de justice tout â fait semblable à celle qui fut instituée après l'arrestation de Fouquet. Colbert proposait de choisir dans chaque parlement du royaume un conseiller, et d'en former une chambre de justice, où siégeraient également plusieurs maîtres des requêtes et des magistrats de la chambre des comptes, de la cour des aides et du grand conseil. Toutes les affaires de finances, les baux des fermes, la gestion du surintendant et des trésoriers de l'épargne, devaient être déférés à ce tribunal investi d'une autorité souveraine.
Fouquet, qui avait des espions partout et entre autres dans les postes, fut informé des attaques dirigées contre lui par Hervart et Colbert: il parvint même à se procurer le projet présenté par ce dernier au cardinal. Il se hâta d'envoyer Gourville, un de ses principaux confidents, à Saint-Jean-de-Luz pour se plaindre à Mazarin de ce qu'il appelait un complot tramé contre lui. Le cardinal était alors tout occupé de la négociation qui devait, en rendant la paix à l'Europe, élever la France du premier rang des nations. Cependant il écouta Gourville, qui, si l'on en croit ses Mémoires, s'acquitta avec dextérité de sa mission. Il représenta au cardinal qu'il courait des bruits fâcheux pour le surintendant ; on parlait d'une cabale qui se formait contre lui et qui ne tendait pas à moins qu'à lui enlever la direction des finances. Gourville, sans nommer Colbert, insinua adroitement qu'il n'était pas étonnant qu'un poste aussi éminent que celui de Fouquet excitât l'envie, et qu'il n'était point de démarches que l'on ne fit pour s'y élever. Il termina en disant qu'il était à craindre que ces bruits n'ébranlassent le crédit du surintendant et ne l'empêchassent de trouver de l'argent, dont on avait si grand besoin. Mazarin fut surtout touché de celte dernière considération, et, sans vouloir encore se prononcer, il parut écouler Gourville favorablement. Cependant ce dernier crut le cas assez pressant pour se rendre à Paris auprès du surintendant et l'amener à Saint-Jean-de-Luz.
Fouquet arriva dans cette ville le 17 octobre, et se plaignit vivement à Mazarin de la conduite d'Hervart ; mais il eut soin de ménager Colbert. Il réussit â ramener complètement le cardinal, qui, en se séparant de lui, le 20 octobre, écrivit à Colbert : «Je vous dirai que M. le surintendant m'a fait des plaintes des discours qu'Hervart tenait à son préjudice, disant à ses plus grands confidents que lui, surintendant, sortirait bientôt des finances; que c'était une chose résolue; qu'il agissait en cela de concert avec vous et que vous l'aviez conseillé de tenir le tour bien secret. M. le surintendant m'a ajouté que, vous ayant pratiqué longtemps, il avait vu le moyen de vous connaître un peu, et qu'il se doutait que vous n'aviez plus pour lui la même affection que par le passé, s'étant aperçu depuis quelque temps que vous lui parliez froidement, quoiqu'il n'y eût pas donné sujet ; qu'il avait, au contraire, pour vous la dernière estime et souhaitait avec passion avoir votre amitié, sachant d'ailleurs l'affection et la confiance que j'avais en vous. Sur quoi il s'est fort étendu, ne lui étant pas échappé une parole qui ne fût à votre avantage, et se plaignant seulement de la liaison en laquelle vous étiez entré avec Hervart et l'avocat général Talon à son préjudice, et d'autant plus que vous ne pouviez pas douter que je n'avais qu'un mot à dire pour qu'il me remit non-seulement la surintendance, mais la charge de procureur général.
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