LA CRÊTE DE VIMY 1917
Le mois dernier, notre ami Matthieu a amené ses filles visiter le mémorial canadien de la crête de Vimy où eu lieu une bataille importante de le guerre de 14/18. Il nous raconte, avec sa verve habituelle, cette visite...
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La crête de Vimy, avril 1917, 14 km de front, des milliers de morts ...
Peut-être moins de “morts inutiles” sur cette partie du front
qu’ailleurs car ce fut une victoire “éclair” canadienne, (une victoire importante dans la guerre et dans l’Histoire de cette jeune nation, et c’est naturellement aujourd’hui un lieu important du
souvenir) mais ce fut sans aucune doute ... une belle boucherie quand même.
Sur la grande guerre, ma grande (en CM2) était au taquet. Alors j’ai pris la balle au bond si je puis dire, en ce début de vacances.
Elle venait en effet de participer, avec les autres élèves de sa classe, à un concours d’écriture de lettre de poilus sur le temps de classe. Elle n’a pas gagné et ne lira pas sa lettre aux commémorations du 11 novembre du village, mais quand elle me l’a lue l’autre soir après l’école, je suis quand même resté sur ... mon séant.
Ma chère Jeanne ....
Il se trouve qu’elle avait une arrière grand-mère qu’elle n’a pas connue et qui s’appelait Jeanne, c’était l’une de mes mamies. Avant qu’elle ne commence, j’étais déjà touché, pris par surprise. Elle me dira plus tard qu’elle n’avait pas réalisé, par son choix, la situation virtuelle dans laquelle elle me mettait : elle, ma mamie que j’ai bien connue, petite fille devant moi, lisant la lettre envoyée par son soldat de père, gazé lors de cette putain de guerre, de celles qui séparent bien trop vite les papas des petites filles.
Je suis à Verdun dans une tranchée. Ici, la vie est difficile. [...] On a un repas dans la nuit qui est servi froid, on n’a pas beaucoup d’eau. Les tranchées sont étroites. On ne dort pas très bien. Quand on va sur le front, on voit beaucoup de morts qu’ils soient à côté de nous ou pas. Le casque est lourd, on est plein de boue et j’ai peur. Il est très dur de survivre ici et beaucoup d’entre nous se font tuer par les allemands. Je vois plein d’obus qui tombent devant moi. Notre commandant est dur, ceux qui se sont enfuis, si par malheur, ils sont retrouvés, ils sont fusillés pour montre l’exemple. [...] J’aimerais tant te revoir, je voudrais aussi que la guerre se termine car je n’en peux plus. J’espère que tout va bien à la maison. Bisous.
Passent plusieurs jours et arrive un bon début de vacances scolaires, mes parents faisant le déplacement jusqu’à nous pour revoir leurs princesses qui le leurs rendent bien.
Un temps d’Automne, nuageux et venteux mais qui n’empêche pas de sortir. Ce jour, direction Vimy. Sur l’A1, Mamie, à l’arrière entre mes deux rieuses, tente un cours d’histoire. Moi, je mettrais bien la radio parce que j’ai déjà donné dans mon jeune temps, quand on ne regardait pas un monument sans la lecture d’une bible pour parfait touriste cultivé. Verte, ou bleue, selon, elle était plutôt assommante toujours. Enfin, je dis ça, je veux pas cracher dans la soupe et je suis pas sympa, car je suis parfois pareil quand mamie n’est pas là, ça doit être génétique.
On arrive par une route sinueuse en haut de la crête, par une forêt aux couleurs chatoyantes, je reconnais les lieux, mais ça ne m’empêche pas d’apprécier.
Beaucoup de platanes, et le platane est en fête en ce moment.
On tourne et on découvre de loin le monument ... monumental au sommet de la crête. On fait le reste à pied et progressivement on a la vue sur les terrils du bassin minier plus au nord. Un jeune guide canadien nous accueille, le sourire aux lèvres, anglais ou français, suivant l’arrivage. On est en effet au Canada ! La terre, le site ont été généreusement donnés sur plusieurs hectares. On a fait la même chose en Normandie pour les ricains. Vu leurs efforts face à l’envahisseur (les allemands laissèrent un mauvais souvenir au bassin minier occupé), on leur doit bien ça, et l’accent canadien, c’est tellement plus typique, c’est vrai, ça donne plus de charme au site. (sic)
Les filles montent et descendent les escaliers, elles joueront peu après à cache à cache dans les tranchées reconstituées un peu plus loin et vous vous dîtes à ce stade de la visite de ce lieu de mémoire: mais c’est une honte, ils se baladent là comme dans un parc de jeux !
Mais, je vous arrête de suite. Pour ma part, j’ai vu des italiens hilares se
faire photographier devant des fours à Dachau quand j’étais jeune, ça m’a marqué à vie. Certes l’ambiance est à la joie d’être en famille, à la vie sur ce lieu qui a pué la mort un temps, mais on
n’est pas inconscient pour autant. On va se poser les filles. Mamie, t’es prête !? Dans le musée, des photos, et surtout une courte vidéo avec des images d’archives qui ne montre pas l’enfer mais
l’évoque suffisamment pour des enfants de 6 ans, pour leur faire entrevoir, même aux garçons, que la guerre, c’est quand même une belle saloperie. Un petit film pédagogiquement bien fait
(attention à ce que tu vas dire, des collègues te guettent au tournant) qui ne cherche donc pas à tout raconter mais qui explique clairement l’essentiel : le statisme des guerres de tranchées, la
vie du soldat par quelques exemples qui marquent les esprits, genre les rats, le fer à repasser chaud qui fait craquer les poux et les ordres d’en haut, parfois criminels (sauf à Vimy, il faut le
noter, un exemple, presque une exception). Tirs croisés à l’écran, d’explication dans la petite salle un peu pendant et surtout après, mes filles étaient cernées. Si elles n’ont pas perdu leur
bonne humeur, elles ont pris un peu plus d’épaisseur je trouve en quelques minutes, elles font même maintenant des remarques, posent des questions et souhaitent un petit livre souvenir, des
cartes postales. Ouf. Merci mamie, je retire ce que j'ai dit !
On va donc partir l’esprit serein, il est midi et les soldats ont faim quand mon regard s’attarde par mégarde sur une vitrine.
Et là, moi qui suis resté très intérieur, zen, depuis le début de la visite, presque logistique, là, je reste scotché. Je relis ce court texte puis je demande un stylo. Puis, je recopie rapidement sur le banc de peur de ne pas retrouver ce poème facilement par la suite, même si il fut écrit par un chirurgien militaire, le Major John Mac Craie, à Ypres (sans doute la reine des boucheries canadiennes, soit-dit en passant).
En Flandres, dans la terre des champs de bataille
Entre nos croix de bois fleurissent les coquelicots,
Dans le ciel, bravant l’écho de la mitraille,
L’alouette toujours chante le jour nouveau.
Nous, morts d’aujourd’hui, vivants hier encore
Nous avons ri, aimé, et nous étions aimés.
Nous dont les yeux voyaient le couchant et l’aurore,
En Flandres, quelque part, reposons à jamais
[...]
Mes filles, je vous vois heureuses d’être là, aux côtés de votre père et de vos grands-parents qui vous aiment.
Major, aviez-vous des filles ? Les avez-vous revues ? Que sont devenus tous vos blessés ?
Bisous fraternels
Matthieu
ps : Et Maman ? Elle était malheureusement au travail. La petite ? On l’avait abandonnée ... mais non, juste pour la journée !
ps n°2 : une très courte vidéo “amateur” pour voir une partie du site avec les tranchées, en 360°
ps n°3 : pour en savoir plus sur le déroulement de la bataille
http://www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/comprendre-et-approfondir/batailles/vimy-1917.html
http://www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/comprendre-et-approfondir/batailles/vimy-1917.html
ps n°4 : sur la grande guerre, pour toucher du doigt toute son horreur, j’ai beaucoup et particulièrement aimé par le passé ... (si je puis dire)
Un beau livre "Paroles de poilus"
Un roman noir, "le boucher des Hurlus", de Jean Amila
Les BD de Tardi "C'était la guerre des tranchées"