SOLITUDE (2)

Publié le par N.L. Taram

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Billie Holiday - Solitude

À LA JEUNE DAME MÉLANCOLIQUE ET SOLITAIRE

Par Clément Marot

 

Par seule amour, qui a tout surmonte,
On trouve grâce en divine bonté,
Et ne la faut par autre chemin querre.
Mais tu la veux par cruauté conquerre,
Qui est contraire à bonne volonté.

Certes c'est bien à toi grand cruauté,
De user en deuil la jeunesse et beauté,
Que t'a donné
Nature sur la terre
Par seule amour.

En sa verdeur se réjouit l'été,

Et sur l'hiver laisse joyeuseté.

En ta verdeur plaisir doneques asserre,

Puis tu diras (si vieillesse te serre) :

« Adieu le temps qui si bon a été

Par seule amour ! »

QUELCONQUE UNE SOLITUDE

Par Stéphane Mallarmé

 

Petit air.
I. Quelconque une solitude
Sans le cygne ni le quai
Mire sa désuétude
Au regard que j'abdiquai

Ici de la gloriole
Haute à ne la pas toucher
Dont maint ciel se bariole
Avec les ors de coucher

Mais langoureusement longe
Comme de blanc linge ôté
Tel fugace oiseau si plonge
Exultatrice à côté

Dans l'onde toi devenue
Ta jubilation nue

II. Indomptablement a dû
Comme mon espoir s'y lance
Éclater là-haut perdu
Avec furie et silence,

Voix étrangère au bosquet
Ou par nul écho suivie,
L'oiseau qu'on n'ouit jamais
Une autre fois en la vie.

Le hagard musicien,
Cela dans le doute expire
Si de mon sein pas du sien
A jailli le sanglot pire

Déchiré va-t-il entier
Rester sur quelque sentier !

LE VIN DU SOLITAIRE

Par Charles Baudelaire

 

Le regard singulier d'une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante;

Le dernier sac d'écus dans les doigts d'un joueur;
Un baiser libertin de la maigre Adeline;
Les sons d'une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l'humaine douleur,

Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poète pieux;

Tu lui verses l'espoir, la jeunesse et la vie,

Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie,

Qui nous rend triomphants et semblables aux
Dieux!

DERNIÈRE SOLITUDE

Par René-François Sully Prudhomme

 

Dans cette mascarade immense des vivants
Nul ne parle à son gré ni ne marche à sa guise ;
Faite pour révéler, la parole déguise,
Et la face n'est plus qu'un masque aux traits savants.

Mais vient l'heure où le corps, infidèle ministre,
Ne prête plus son geste à l'âme éparse au loin,
Et, tombant tout à coup dans un repos sinistre,
Cesse d'être complice et demeure témoin.

Alors l'obscur essaim des arrière-pensées,
Qu'avait su refouler la force du vouloir,
Se lève et plane au front comme un nuage noir
Où gît le vrai motif des œuvres commencées ;

Le cœur monte au visage, où les plis anxieux
Ne se confondent plus aux lignes du sourire ;
Le regard ne peut plus faire mentir les yeux,
Et ce qu'on n'a pas dit vient aux lèvres s'écrire.

C'est l'heure des aveux. Le cadavre ingénu
Garde du souffle absent une empreinte suprême,
Et l'homme, malgré lui redevenant lui-même,
Devient un étranger pour ceux qui l'ont connu.

Le rire des plus gais se détend et s'attriste,
Les plus graves parfois prennent des traits riants ;
Chacun meurt comme il est, sincère à l'improviste :
C'est la candeur des morts qui les rend effrayants.

Publié dans Littérature

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