JEAN-PAUL MARAT (32)

Publié le par N.L. Taram

Jean-Paul Marat, les Chaînes de l'esclavage
« De l’appareil de la puissance  »
                 
Rappel de l’Histoire… Au XXIème siècle rien n’a changé en dehors des noms & des titres.
 
Ouvrage destiné à développer les noirs attentats des princes contre le peuple ; les ressorts secrets, les ruses, les menées, les artifices, les coups d'état qu'ils emploient pour détruire la liberté, & les scènes sanglantes qui accompagnent le despotisme.
 
 
 
De l’appareil de la puissance.
(page 56 à 60)
 
Dans un sage gouvernement, les fonctionnaires publics doivent porter les attributs de leurs dignités : les honneurs qu'on leur rend sont censés rendus au peuple, dont ils sont les mandataires ; la pompe dans laquelle ils paraissent lorsqu'ils sont en fonctions n'est point pour eux, ils ne sont que des piliers auxquels sont suspendues les enseignes nationales.
 
Mais bientôt le vulgaire perd de vue ces utiles vérités ; peu d'hommes savent même distinguer de ces enseignes la personne qui les porte : ignorance dont les princes profitent habilement pour se mettre à la place de la nation, ne jamais se montrer que dans l'éclat de la majesté royale ; & prétendre néanmoins que, revêtus ou dépouillés des ornements de la royauté, ils n'en sont pas moins des objets sacrés de vénération, lors même que le destin les à précipités du trône.
 
Quoiqu'il en soit : aux yeux du peuple, la pompe des princes fait partie de leur (1) puissance ; aussi la plupart se sont-ils étudié (2) à en imposer par un appareil menaçant.
 
Quand ils se montrent en public, c'est toujours avec les attributs de l'autorité suprême. Quelquefois ils font porter devant eux le glaive de justice, le sceptre & les faisceaux. Souvent ils se font accompagner en pompe par les grands officiers de la couronne ; par le nombreux cortège de leurs courtisans, & presque toujours par la bande formidable de leurs satellites (3).
 
Ils ont soin aussi d'entretenir le faste de leurs maisons, dans la crainte qu'en cessant de faire les maîtres, les grands qui les approchent ne cessent de faire les sujets ; ils en imposent toujours par un ton impérieux ; & afin de mieux apprendre aux peuples à les respecter, ils introduisent dans leur cour un cérémonial imposant : quelques-uns vont même jusqu'à ordonner qu'on ne les serve & qu'on ne leur parle qu'à genoux (4).
 
Dans les pays de l'Orient, les princes emploient plus d'art encore pour se faire révérer & obéir aveuglement.
 
Renfermés dans leurs palais au milieu de leurs esclaves, ils se font rarement voir en public ; mais toujours dans la pompe la plus imposante, toujours accompagnés d'une garde nombreuse richement vêtue, toujours environnés de leurs ministres couverts d'or & de perles, qui baissent les yeux & attendent les ordres de leur maître dans un profond silence.
 
Ce soin que les princes ont pour eux-mêmes, ils l'ont pour leurs officiers : jaloux de faire paraître dans les magistrats, non l'homme de la loi, mais l'homme constitué en dignités.
 
Parmi les édits que Jacques Ier rendit en 1613, les membres de son conseil d’Écosse eurent ordre de ne point aller à pied dans les rues, mais en voiture & en grand habit (5).
 
Philippe II, roi d'Espagne, ordonna par un décret particulier à tous les membres des conseils supérieurs & des chancelleries de ses états, de ne jamais paraître en public qu'avec de longues (6) robes & la barbe.
 
Les princes ne sont pas moins attentifs à se ménager entr'eux les mêmes respects. Voyagent-ils ? ils se reçoivent avec pompe, ils se traitent avec magnificence, ils se prodiguent tous les honneurs ; & pour que le peuple soit d'autant plus frappé de la grandeur des maîtres, toujours de hautes marques de distinction sont accordées à leur suite.
 
Rien ne sert mieux les princes que le soin qu'ils ont de fixer l'admiration du vulgaire sur leur personne, par l'appareil de la puissance. En voyant ses agents entourées de brillants satellites, le peuple n'ose porter sur eux des regards assurés; les sages eux-mêmes ont peine à se défendre d'une certaine vénération pour la morgue environnée de tant de lustre, si tant est que ce qu'il y à de moins méritant au monde puisse être illustré.
 
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(1) Richelieu était bien persuadé de cette vérité, lorsqu'il reprochait à Louis XIII   d'avoir si fort négligé ce point-là. Voyez son testament politique.
(2) C'est la magnificence du premier Cosme de Médicis qui lui donna tant d'ascendant sur ses compatriotes ; ce fût-elle qui, malgré la forme démocratique du gouvernement de Florence, malgré l'attachement des citoyens à leurs privilèges, malgré la popularité de ceux qui remplissaient les premières magistratures, le rendit l'âme de la république, & aveugla le peuple au point de lui laisser usurper l'autorité suprême.
(3) Autrefois les princes étaient accoutumés à se promener presque sans gardes au milieu de leurs sujets, comme un père de famille au milieu de ses enfants : mais dès qu'ils l'ont pu, ils se sont empressés de se donner une garde imposante : & aujourd'hui, il y a peu de monarques qui n'ait plusieurs régiments de satellites.
(4) Philippe II, roi d'Espagne, en fit une ordonnance expresse.
(5) Spotwood.
(6) Désormaux, abrégé chronologique de l'histoire d'Espagne Plutarque, vie de Philopemon.
JEAN-PAUL MARAT (32)
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